Placer les gestes d’un artisan comme herméneutique de médiation des oeuvres, voici la belle découverte que nous partageons avec vous, qui fait du geste non pas une forme ou un motif, mais bien un outil théorique et pratique. L’expérience devient synesthésique.
"Sans les yeux" est le podcast inédit inventé par Anne Sophie Grassin, du Musée de Cluny. Conçu comme un projet de médiation, il offre une façon de mieux comprendre les œuvres de la collection permanente du musée, fermé au public jusqu’au début de l’année 2022. Il propose de donner la parole à des artisans, spécialistes des savoirs-faire et les invite à s’exprimer sur les œuvres de la collection du musée à partir de leur expertise, de leurs gestes afin de donner à entendre de nouvelles résonances contemporaines. L’idée de ce nouveau format de médiation est de proposer un complément au discours scientifique par un éclairage à partir des savoirs-faire contemporains liés aux œuvres. L’artiste-artisan parle d’une œuvre à partir de son métier, de son regard et de ses gestes. Chaque invité.e décrit les liens que provoquent en lui/elle l’œuvre choisie et en livre un regard inédit à partir de son expertise-métier.
Le premier épisode de cette série est consacré à Judith Kraft, luthière à Paris ; son titre : « Le concert céleste – Comment la musique donne à voir ». Judith Kraft a choisi une huile sur bois réalisée entre 1510 et 1515, Le Concert céleste, tableau peint composée de trois panneaux. C’est en raison de la forte présence du thème de la musique que Judith Kraft a choisi cette œuvre. Son propos s’appuie plus particulièrement sur les deux panneaux latéraux qui encadrent la Vierge et l’Enfant entourés d’anges. Sur le panneau de gauche sont représentés des chanteurs, l’un d’eux, le compositeur, tient une partition dont on aperçoit une portée musicale. Sur le panneau de droite figurent trois instrumentistes. Et si l’on pouvait extraire de cette œuvre peinte l’un des instruments représentés et l’entendre ? Si nous devions le fabriquer, comment s’y prendrait-on ? Dans cet épisode, il sera question de musique, d’écoute et de luth, cet instrument à cordes pincées ou grattées, ancêtre de la guitare. Nous parlerons aussi de sonorité des bois, qui suivant leurs essences « sonnent », vibrent et « chantent ». Dans son atelier, Judith Kraft nous montre à quel point le geste de l’outil est conduit par le son et précise comment il guide l’œil. Envisager l’œuvre peinte le Concert céleste avec ses yeux, c’est s’ouvrir à une autre dimension pour en saisir tout le mystère.
L’horlogère Emmanuelle Galand nous transmet son savoir faire sur les horloges anciennes. Au centre des échanges, l’une des plus anciennes horloges conservées dans le monde, une horloge mécanique allemande à tirage et à poids conservée au musée
Le 3e épisode propose une expérience originale : porté par la passion de l’artiste au travail, l’auditeur pénètre au cœur des fibres de la tapisserie pour découvrir les techniques utilisées et en saisir les détails les plus subtiles.Pour se faire, nous avons frappé à la porte du Mobilier national à Paris, où Chloé Bensahel, artiste-artisan est en résidence depuis 3 ans, dans les ateliers de basse-lice. Elle a choisi de nous parler de l’une des 12 tapisseries de l’histoire de saint Etienne.
L’art de l’enluminure donne aux manuscrits médiévaux toute leur préciosité et leur richesse. Dans le 4e épisode du podcast "Sans les yeux", l’enlumineresse Anaïs Lecat évoque les techniques de l’enluminure : la fabrication du feuillet, les types d’or, les outils, les pigments... Autant d’éléments qui donnent à comprendre un feuillet conservé dans les collections du musée et extrait d’un livre d’heures : une Assomption de la Vierge datée de la fin du 15e siècle.
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Ce podcast est une création d’Anne Sophie Grassin.
Anne Sophie Grassin est spécialiste en médiation de l’art (art ancien et contemporain), et développe une recherche sur la place du corps et du sensible comme alternative à la crise de l’attention. Elle est particulièrement attachée à tisser des liens entre les périodes, les formes de médiation. Après un Master 2 à l’École du Louvre, elle poursuit ses recherches autour de la question de la réception du visiteur et des études de publics à l’Université de Montréal. Membre de l’ICOM CECA depuis une dizaine d’années, elle se spécialise dans le renouvellement des médiations. Elle élabore des dispositifs et programmations favorisant une approche sensible des œuvres où arts vivants, sons et écrits s’organisent différemment (expositions, résidences, podcast, performance in situ). Elle a reçu à ce titre en 2021 le Prix des Best Practice de l’ICOM CECA. Elle intervient également depuis de nombreuses années dans les formations universitaires en master de médiation culturelle (Sorbonne Universités, Ecole du Louvre...) et invitées régulièrement dans des colloques et conférences. Elle est actuellement Cheffe adjointe du Service de la médiation et de la politique des publics, Responsable de la politique de programmation au Musée national du Moyen Âge, à Paris.