Depuis plusieurs années, les recherches artistiques de Lorraine Féline relèvent de l’impossible : représenter le geste, par nature ineffable, transitoire (donc réputé irreprésentable) et principalement inscrit dans une histoire d’un art d’attitude. Féline fait du geste l’outil d’une critique institutionnelle d’un nouveau type en faisant danser les acteurs principaux et cachés du monde de l’art contemporain (employés d’école de beaux-arts, galeristes, gérants de lieux d’exposition). Sa "non-danse" transforme les acteurs invisibles du milieu artistique en performers maladroits de chorégraphies fonctionnelles (elles s’interprètent dans les lieux de travail, Air de Paris, Paris 2007), minimales (Halfenhalf, Bruxelles, 2009) et non spécialisées (Ensad, Strasbourg, 2005). Loin de se contenter d’un tel bouleversement, Féline confronte le geste à une autre tradition artistique, autrement plus ancienne, celle de la peinture. Les gestes qu’elle retranscrit sur châssis ou rouleau, qu’ils viennent de photographies anonymes, ou de corpus déjà formés (ainsi la publication "La Clé des gestes" de Desmond Morris, à qui elle emprunte le titre pour son exposition chez Mona Lisait) conservent toutes les qualités (fugacité, répétition, gratuité), qui pourtant semblaient par définition échapper au régime de la représentation. On se tromperait à penser que de tels tours de force sont réalisés dans la difficulté et la douleur, car Féline évacue de ses recherches sur le geste la dose de pathos qui a été trop souvent accolé à ce dernier. Au contraire, son art, polymorphe et généreux, porte et transmet ce que l’art contemporain a peut-être trop rapidement évacué : l’humour. Et qu’elle nous communique à dose salvatrice.
Vincent Romagny