Direction et organisation : Barbara Formis et Mathias Girel
Le pragmatisme est un courant philosophique qui fait de l’expérience le pivot du savoir, en mettant sur un pied d’égalité l’action pratique et le concept. Le pragmatisme possède un pouvoir transformateur. Il s’oppose à une logique rationnelle spéculative pour privilégier une connaissance active, ancrée dans le réel qui lui permet une refondation de trois axes disciplinaires habituellement considérés comme séparés : la création artistique, la pensée philosophique et la critique sociale. L’esthétique y est pensée comme une forme d’expérience aussi bien intellectuelle que corporelle, populaire tout autant que cultivée. La stratégie pragmatiste fonctionne à partir de la primauté des pratiques sociales et de l’expérience ordinaire. Par la notion d’expérience, le pragmatisme met en place un plan d’immanence qui permet d’aborder la critique de certains des dualismes le plus persistants de la tradition philosophique occidentale : les dualismes entre pensée et action, entre théorie et pratique, entre faits et valeurs, entre science et société, entre esthétique et politique. La dialectique entre art et expérience mène à poser des questions importantes sur le lien entre liberté créatrice et réalité sociale : comment concilier la pratique « réelle » – parfois déterminée par des contraintes matérielles indépassables – avec la supposée « liberté » de la création artistique ? Comment concilier liberté individuelle et démocratie radicale ? Où se situe l’autonomie de l’artiste ? En donnant la parole à des artistes ainsi qu’à des théoriciens, ce colloque vise à saisir l’importance d’une approche pragmatiste au sein de la création artistique.
Mercredi 4 décembre
Matin
9h00 : Accueil des participants
9h15 : Introduction par Barbara Formis (Université Paris 1)
Modération : Jacinto Lageira
9h30 : Dominique Chateau (Université Paris 1) La philosophie de John Dewey appliquée à l’art : ambiguïté ou richesse ? 10h15 : Krystyna Wilkoszewska (Université de Cracovie) How Dewey’s philosophy of experience helps to understand the contemporary art 11h00 : Pause
11h15 : Agnès Lontrade (Université Paris 1) Éducation esthétique et esthétique de la démocratie dans la philosophie de John Dewey 12h00 : Sandra Laugier (Université Paris 1) Esthétique de l’ordinaire et démocratie (Emerson, Warshow, Cavell) 13h00 : Déjeuner
Après-midi
Modération : Christophe Génin
14h30 : Jacinto Lageira (Université Paris 1)
Pour une esthétique de l’action 15h15 : Barbara Formis (Université Paris 1) L’Art comme activité 16h00 : Pause
16h15 : Carole Douillard (artiste, performeuse) « La Conscience attelée à la chair » comme mode de Production 17h00 : Chantal Pontbriand (critique d’art, commissaire, Université Paris 4) Notes sur une pratique curatoriale pragmatiste
Jeudi 5 décembre
Matin
9h00 : Accueil des participants
9h15 : Introduction par Mathias Girel (ENS Ulm)
Modération : Mathias Girel 9h30 : Aline Caillet (Université Paris 1) Quand l’enquête devient forme : les pratiques ethnologiques et documentaires saisies dans le prisme de la méthode pragmatiste 10h15 : Benjamin Sabatier (Université Paris 1) La création comme forme d’enquête 11h00 : Pause
11h15 : Richard Conte (Université Paris 1) Poïétique et pragmatisme, rapprochements et différences 12h00 : David Zerbib (HEAD Genève et Université de Paris 1) Penser l’œuvre en processus 13h00 : Déjeuner
Après-midi
Modération : Barbara Formis
14h30 : Bernard Darras (Université Paris 1) Nouveaux regards sur la perception 15h15 : Giovanni Maddalena (université du Molise, Italie) Complete Gesture. A pragmatist account of creativity as knowledge 16h00 : Pause
16h15 : Roberto Frega (CNRS, Paris) L’art comme norme du vrai : l’objectivité de la critique chez Dewey et Margolis 17h00 : ORLAN (artiste) Femme avec tête(s) 18h00 : Cocktail
Résumés des communications :
Chantal Pontbriand Notes sur une pratique curatoriale pragmatiste
Ayant développé au fil de ma propre pratique comme curateur une approche assez singulière concernant la mise-en-forme d’expositions et d’événements dans le champ de l’art contemporain, je profiterai de ce colloque pour énoncer un certain nombre de paramètres et de propositions dans le but de décrire une approche qui se définit le mieux comme « pragmatiste ». Dans ce contexte, il s’agit de laisser surgir de nouvelles formes de pensée qui s’appuient sur l’agencement non-prescriptif des données du réel. Cette méthode, que l’on peut aussi qualifier de performative, nous permet de créer des situations inédites et d’élargir ainsi le champ de l’art, tant sur le plan de l’esthétique que sur le plan institutionnel.
Carole Douillard
« La Conscience attelée à la chair » comme mode de production
En dialogue avec la pensée pragmatiste, à partir d’une analyse du rapport que j’entretiens à ma propre créativité, je tenterai d’expliquer comment le "corps ressentant", la "pensée pensante", du monde/dans le monde, peuvent constituer le matériau même d’une production de soi comme être et comme artiste. Il sera en effet question de regarder comment, depuis le sensible, se construit une oeuvre. A cet endroit de "l’épreuve fine de la vie", la performance s’impose comme forme juste, celle qui permet de faire du "tressaillement de l’organisme" cher à J.Dewey le lieu même d’un partage avec l’autre, le regardeur, le spectateur. Ma réflexion se ponctuera par une courte lecture du journal de travail que je rédige actuellement, dans le cadre d’un projet de recherche en Algérie, terre de ma double identité.
"La conscience attelée à la chair" est le titre du tome 2 du journal de Susan Sontag, paru en 2013 aux éditions Bourgois
Benjamin Sabatier
La création comme forme d’enquête
A travers la présentation de l’exposition "A Bientôt j’espère" présentée au Centre d’Art Le Pavé dans la Mare de Besançon, il s’agira d’envisager l’acte créateur comme une forme d’enquête.
Celle-ci, qu’on pourrait rapprocher de la figure du chercheur, transformerait la posture de l’artiste et la situerait dans la lignée de la philosophie Pragamatiste.
Ainsi les formes plastiques découleraient directement des différents indices et expériences accumulés au fur et mesure des investigations et l’exposition ne manifesterait qu’un moment de cette recherche.
Roberto Frega
L’art comme norme du vrai : l’objectivité de la critique chez Dewey et Margolis
Dans ma communication j’entends montrer que Dewey et Margolis, bien que de manière différente, ont proposé une conception de l’objectivité qui s’applique au domaine de l’art et qui sert de base pour une théorie de la critique. Je commencerai par présenter les traits essentiels de la conception deweyenne de l’objectivité telle qu’elle est présentée dans Art comme expérience, pour présenter en suite l’idée d’"interprétation objective" telle qu’elle est définie par Margolis dans différents textes consacrées à l’esthétique. Je conclurai par une réflexion plus générale sur le statut de l’objectivité par rapport à la critique dans le pragmatisme.
Jacinto Lageira
Pour une esthétique de l’action
Les théories pragmatistes de l’action pemettent de penser la relation esthétique comme un engagement non seulement normatif et prescriptif, mais aussi comme une transformation dynamique de l’expérience entre les sujets, conduisant à une redéfinition du pratico-moral et du pratico-sensible, refusant l’agir instrumental au bénéfice de la créativité de l’agir.
Barbara Formis
L’Art comme activité
Si John Dewey a nommé son célèbre ouvrage L’Art comme expérience, c’était pour imposer les qualités esthétiques de la sensibilité singulière et collective au sein de la définition de l’art lui-même. L’héritage de cette pensée centrée sur l’idée de forme, de rythme et d’énergie a eu une influence majeure sur les artistes des années soixante, tout particulièrement Outre-Atlantique. On peut évoquer Allan Kaprow, les membres du groupe Fluxus, mais aussi, indirectement, Anna Halprin et Yvonne Rainer. Or, les artistes semblent ouvrir le champ de l’expérience à celui de la création, ou plus généralement de l’activité, comme mode d’existence accessible à tous. Cette ouverture permet de questionner la philosophie esthétique pragmatiste de John Dewey par une perspective critique qui peut s’avérer constructive. Comment décrire le passage de la notion d’expérience à celle d’activité ? Quels changements esthétiques et philosophiques sont impliqués dans ce passage ?
Richard Conte Poïétique et pragmatisme, rapprochements et différences.
Quels rapprochements pouvons-nous opérer entre poïétique et pragmatisme ? N’y-a-t-il pas dans la notion d’expérience chez Dewey, une volonté comme chez Valéry, de comprendre l’art du point de vue du faire ? Mais de quel faire parle-t-on ? Celui de l’artiste ou celui de l’œuvre ? Quels enseignements l’étude de la création en train de se faire pourrait-elle tirer d’une meilleure connaissance des positions et méthodes du pragmatisme ? Ces questions seront abordées à travers le prisme d’une posture d’artiste plasticien confronté lui-même à l’expérience créatrice.
David Zerbib
"Penser l’oeuvre en processus."
Il s’agira d’établir une comparaison entre des textes d’esthétique pragmatiste et des théories liées à d’autres écoles philosophiques, telle la tradition herméneutique, à propos de l’oeuvre en train de se faire. Nous étudierons en particulier les cas de John Dewey et Luigi Pareyson.
Aline Caillet
Quand l’enquête devient forme : les pratiques ethnologiques et documentaires saisies dans le prisme de la méthode pragmatiste.
Au modèle théorique de l’observation prisé par les sciences sociales continentales, la philosophie pragmatiste préfère l’enquête (inquiry). A la fois sujet, problème et méthode, celle-ci interroge ses formes légitimes de restitution et invite à les construire dans une continuité formelle, là où souvent les modèles ethnologiques ou documentaires, hérités d’une théorie représentative de la connaissance, introduisent une discontinuité entre l’expérience de terrain et son élaboration textuelle. Cette intégration de l’ordre expérientiel à l’ordre discursif dans le pragmatisme (qui met fin à la séparation entre sensible et intelligible, entre esthétique et science), et le souci formel dont il témoigne, s’avère précieux pour penser la manière dont l’art peut être à même de construire des dispositifs d’observation et d’enquête qui valent ceux de la science.
Agnès Lontrade
Éducation esthétique et esthétique de la démocratie dans la philosophie de John Dewey
L’intervention s’attachera à penser l’agir de l’expérience esthétique dans la philosophie de John Dewey. De la praxis première, relative au fonctionnement naturel de l’expérience, se dégage une autre forme d’action, celle qui confère à l’esthétique le rôle de transformer et d’améliorer la vie dans son ensemble. L’expérience esthétique se situe au fondement même de l’éducation, récusant la séparation entre l’éducation professionnelle (travail) et l’éducation libérale (loisir). C’est aussi au travers d’une valorisation du jeu, de l’imagination et de l’art que se profile une conception de la démocratie ancrée tout autant dans la discussion et les expériences partagées que dans l’émancipation « esthétique » de ses membres. L’idée de réconciliation de l’activité contrainte et de l’activité libre sera également confrontée à des théories de l’autonomie esthétique auxquelles Dewey s’oppose de prime abord, ainsi qu’au travail de certains artistes rattachés à Fluxus.
Bernard Darras
Nouveaux regards sur la perception
Cette présentation qui relève à la fois de la sémiotique pragmatique et des neurosciences a pour projet de mettre en relation le concept pragmatique d’habitude développé par Charles S. Peirce et la théorie sensorielle du réseau neuronal du mode par défaut développée par Rodolpho Llinás et ses collaborateurs.
Après une présentation des deux théories et de leur mise à jour, nous tenterons une étude comparée permettant de réviser bien des a priori sur la perception et de renforcer la théorie de Peirce.
Krystyna Wilkoszewska
How Dewey’s philosophy of experience helps to understand the contemporary art.
Modern aesthetics with its main ideas of fine arts and aesthetic experience is rather helpless in confrontation with the processes going on in 20th century art. It appears that Dewey’s theory of aesthetics with its concept of ‘an experience’ seems to be more adequate to the contemporary art. Although this theory was formulated almost one century ago, its concepts are operative in explanation such currents in new art like neo avant-garde, environmental and ecological art, popular and multimedia art.
Dominique Chateau
La philosophie de John Dewey appliquée à l’art : ambiguïté ou richesse ?
Les diverses versions de « la philosophie de John Dewey appliquée à l’art » concernent des formes artistiques disparates : à l’époque du philosophe, l’art plastique défendu par Barnes dans le cadre de sa célèbre Fondation ; ultérieurement, le happening d’Allan Kaprow ; plus récemment, dans L’Art à l’état vif de Richard Shusterman, la musique populaire (le rap). On dirait, dans le langage logique, que l’extension de ces applications dessine un ensemble flou. Est-ce que ce flou rejaillit sur la compréhension de la philosophie pragmatique de Dewey ? Cette philosophie, ainsi appréhendée, peut-elle être soupçonnée d’ambiguité ? Ne peut-on pas, au contraire, la considérer comme une philosophie ouverte ?
Giovanni Maddalena
Complete Gesture. A pragmatist account of creativity as knowledge.
Based on Peirce’s mathematics and semiotics, the philosophy of complete gesture wants to establish a new pragmatist account of our synthetic knowledge. All pragmatists tended to a not-analytic form of knowledge, to an embodied way of reasoning, but they did not succeed in formulating a final understanding of syntheticity. The fundamental element of the new synthetic paradigm that I want to introduce is “gesture”. Gesture is any performed act with a beginning and an end that carries a meaning (from gero = I bear, I carry on). We acquire new knowledge through gestures. A complete gesture is a gesture that respects Peirce’s mathematical continuity and displays a special “dense” blending of phenomena and signs. The paper will explore complete and incomplete gestures, showing different levels of density and creativity.
Sous la direction de :
Barbara Formis (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne) Institut ACTE (UMR 8218), CNRS - Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne Ligne Aesthetica – Art et philosophie et Ligne Etudes de la culture Co-directrice du Laboratoire du geste
Mathias Girel, Centre Cavaillès (USR 3308 Cirphles Centre International de Recherches en Philosophie, Lettres, Savoirs, Ecole Normale Supérieure, Paris).
Lieu :
Amphithéâtre, Centre Saint Charles, UFR Arts plastiques et Sciences de l’art, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 47 rue des Bergers, 75015 Paris.
Comment venir ?
Métro Charles Michels, Lourmel ou Boucicaut
RER C (Javel)
Bus : 42, 62, 70