En ces temps où les flux d’informations, la circulation de biens et de personnes s’envisagent à l’échelle mondiale, les frontières physiques, culturelles ou conceptuelles qui déterminent et délimitent certains domaines de recherche deviennent inexorablement dynamiques. Cela se vérifie dans la recherche académique, et notamment lorsque l’on s’intéresse à la relation entre la philosophie et les arts de la scène. Les distinctions entre ces disciplines sont bousculées, réévaluées. L’agir scénique acquiert une valeur philosophique. Le théâtre et la performance donnent alors l’idée d’une philosophie en acte.
Pensé dans la continuité du colloque international « Images et fonctions du théâtre dans la philosophie française contemporaine » (ENS Ulm, org. CIEPFC, Dimitra Panopoulos, Flore Garcin-Marrou, 10-11/2012), ce prochain événement se propose de continuer à questionner le lien problématique entre théâtre et philosophie, cette fois-ci à l’aune des perspectives anglo-américaines. De nouveaux croisements, de nouveaux transferts entre l’idée et la scène, l’abstrait et le concret impliquent un changement radical de perspective sur la philosophie et la performance. Le nouveau champ de recherche baptisé Performance Philosophy en anglais et Philo-Performance en français, met en valeur cette aspiration à incarner et dramatiser des idées.
Il est à noter que ce champ de recherche s’étend rapidement dans la communauté anglo-américaine. Des associations de chercheurs se multiplient, par exemple, Performance Philosophy et le groupe de travail spécialisé au sein de Performance Studies International (PSi PPWG), des publications et des conférences voient le jour, ainsi qu’une collection dédiée aux éditions Palgrave Macmillan. Le questionnement sur la performance structure même la recherche de certains théoriciens de renom comme Judith Butler, Avital Ronell, Alphonso Lingis, Stanley Cavell, Martha Nussbaum, Samuel Weber, Iris Murdoch et Simon Critchley, tant sur un plan éthique que politique ou esthétique. Pour les uns, le théâtre et la performance sont devenus la matrice de leur pensée philosophique. Pour d’autres, des concepts tirés du vocabulaire dramatique deviennent incontournables pour penser le monde contemporain. Pour d’autres enfin, le théâtre et la performance interfèrent dans la manière d’écrire de la philosophie. C’est dans la chair et la voix que vient alors s’inscrire l’événement de la pensée. Ces expériences qui questionnent le « parler philosophique » dans sa forme académique laissent à penser que la « philo-performance » pourrait faire partie de l’enseignement philosophique universitaire.
Ainsi, dans un premier temps, ce colloque vise à mettre au jour des corpus traitant de la question théâtrale encore peu étudiés en France. De la même façon que, dans les années 1970, les Universités américaines se sont emparées de textes de philosophes français pour y puiser des idées nouvelles, créant l’idée d’une French Theory, rétrospectivement hétéroclite, au cas échéant critiquable, ce colloque s’envisage comme un effet-retour de la pensée anglo-américaine contemporaine, nourrie de French Theory, dans les Universités françaises.
Dans un deuxième temps, cette prospection nous conduit à opérer un véritable tournant scénique. Au-delà du théâtre pensé comme référence littéraire ou comme concept opératoire, il s’agit de comprendre comment les philosophes anglo-américains peuvent nous communiquer une idée de la scène contemporaine, en tant que lieu physique, concret et vivant, théâtral et/ou performatif.
Si le théâtre mimétique est traditionnellement pensé avec Platon ou Aristote, les nouvelles productions théâtrales hybrides, que Josette Féral a qualifiées justement de « théâtre performatif », impliquent d’autres formes de mimèsis, d’autres types d’engagement de l’acteur, d’autres dispositifs scéniques, d’autres pactes avec le spectateur… La pensée de la performance cristallise des changements paradigmatiques et conceptuels que le corpus philosophique traditionnellement utilisé dans les études théâtrales a parfois du mal à penser : comment penser la méfiance réciproque du théâtre pour la performance lorsque la scène en intègre progressivement les codes ? Comment penser le passage de l’acteur au performeur, de la représentation à l’événement, du texte à l’acte et à l’image, de la passivité du spectateur à sa participation active ? De quelle manière le discours critique propre aux études théâtrales portant sur la crise du personnage, le post-dramatique, le réel au théâtre, les politiques du spectateur, les hybridations marionnette/humain/animal, les acteurs-robots, le théâtre des sociétés postindustrielles, le théâtre « post-post-dramatique » etc., peut-il se confronter à la pensée performative anglo-américaine ?
Nous encourageons les présentations relatives à des essais qui ne seraient encore traduits en français, des communications théorico-pratiques, des philo-performances. La conférence sera bilingue, en anglais et en français.
Nous proposons quatre axes principaux de réflexion :
1/ Axe thématique : Les liens entre le théâtre, la philosophie et la performance (de la philosophie vers la performance ou de la performance vers la philosophie) à partir de la pensée anglo-américaine contemporaine.
2/ Axe esthétique : Des analyses de spectacles, de performances dans une perspective philosophique. Des genres dramatiques et du performatif comme matrice de la philosophie.
3/ Axe politique et éthique : Le contexte politico-économique des pensées du capital et de la performance. Questions de société. Éthique des nouvelles identités post-humaines et numériques. Éthiques du care.
4/ Axe scénique et pratique : La scène, l’écriture, l’acteur en dialogue avec la philosophie anglo-américaine contemporaine. Approches pratiques de l’enseignement philosophique à partir de la performance.
Nous acceptons des communications de 20 minutes ou des propositions d’ateliers pratiques de 40 minutes. Les propositions (300 mots) comporteront un titre et un résumé, ainsi qu’une brève bio-bibliographie.
Elles devront parvenir en format Word ou PDF à cette adresse : contact@tpp2014.com
La date limite des soumissions a été fixée au 31 janvier 2014. Réponse aux auteurs : 16 février 2014.